Astrologie | Mythologie | Psychanalyse

L’horoscope semble correspondre

à un certain moment de l’entretien mutuel des dieux,

c’est-à-dire des archétypes psychiques.

Carl-Gustav Jung

   

Questionnant les motifs qui ont conduit à la rupture entre Freud et Jung, les commentateurs retiennent en particulier leurs divergences quant à la portée du concept de libido. À suivre le fil de la correspondance qu’ils ont échangée entre 1909 et 1912, on se rend compte que la question de la mythologie y tient un rôle significatif. Elle a d’abord réuni les deux chercheurs autour d’une passion commune, avant de les éloigner peu à peu pour constituer finalement un facteur de scission.

Freud pensait que les mythes antiques étaient de nature à étayer la théorie psychanalytique. Il encouragea Jung à poursuivre ses recherches dans ce domaine en espérant que son dauphin parvienne aux mêmes conclusions que lui, mais les chemins ont bifurqué, là où ils s’étaient rencontrés. Alors que Freud cherchait dans la mythologie une illustration et une confirmation de la théorie, comme le montre par exemple sa lecture sélective de l’histoire d’Œdipe, Jung fut amené finalement à renverser l’équation en reconnaissant au mythe la capacité d’éclairer la clinique et de repenser la théorie. À cette époque, il adoptait un point de vue qui annonçait déjà le concept d’inconscient collectif, avec son corollaire, la notion d’archétype, à savoir qu’il commençait à émanciper l’histoire individuelle du tout infantile pour la rattacher à l’enfance de l’humanité toujours présente dans chaque être humain.

Aux yeux de Jung, le mythe est toujours là, toujours agissant à travers les destinées individuelles et collectives. C’est dans la prise en compte de l’arrière-plan mythologique, ou de l’archéologie psychique, que la perspective jungienne rejoint celle de l’astrologie. À la manière de Freud dans son domaine, il arrive souvent que l’astrologue s’appuie sur un épisode de la mythologie pour illustrer le discours tenu sur une planète. Ce faisant, on réduit le mythe à un simple savoir confirmant : on lui fait dire ce que l’on veut en entendre et l’on se préserve de son aspect subversif, là où il serait susceptible de remettre en cause certaines idées établies. Dans l’esprit de Jung, nous reconnaissons pour notre part que la mythologie recouvre un incomparable pouvoir heuristique et nous questionnons ainsi les multiples épisodes où les divinités se donnent à voir pour relancer, en particulier, la compréhension des planètes.

Comme donnée en soi, l’archétype est insaisissable et la mythologie ne saurait le donner à voir. Par contre, les auteurs antiques le mettent abondamment en scène à travers ce que l’on appelle des figures archétypales. Il en va ainsi de la planète Uranus, par exemple, que l’on voit apparaître d’abord sous les traits originaires d’Ouranos, le Ciel Étoilé, puis de ses illustres continuateurs que sont d’abord Prométhée et Athéna. À partir de là, nous proposons une démarche qui consiste à éclairer l’astrologie à partir de ses fondements mythologiques. Chemin faisant, nous en revenons avec un riche butin. Ici, nous trouvons des repères qui renouvellent l’interprétation astrologique. Là, nous découvrons des récits qui nous permettent de préciser les attributions d’une planète. Ailleurs encore, nous sommes confrontés à des données qui nous amènent à réviser ce que nous croyions acquis.

À l’astrologue qui s’interroge sur le type de rapports que les planètes entretiennent entre elles, la mythologie répond à sa manière en mettant en scène les amours des divinités comme leurs luttes intestines et leurs inimités déclarées. À relire, par exemple, l’épisode hésodien où l’on voit Ouranos qui s’emploie à éterniser son règne, avant que Cronos ne se montre assez audacieux pour détrôner le Ciel Étoilé, on doit repenser le type de rapports qu’ils entretiennent l’un l’autre et l’on ne peut plus s’en tenir, en particulier, à l’idée selon laquelle Uranus représenterait d’abord un au-delà de Saturne. À voir Poséidon et Hadès sortir du ventre de Cronos en étant prêts à établir leur propre règne, on doit repenser de fond en comble la nature de la relation que Saturne tisse avec Neptune et Pluton.

Lorsqu’on fait référence à un signe du Zodiaque, avec ses dispositions propres et ses qualités spécifiques, on ne parle pas de quelque chose qui est d’ordre personnel. Lorsqu’on parle d’une planète, avec les valeurs qui sont les siennes, on évoque une figure d’ordre mythologique, et non pas quelque chose d’ordre personnel qui se rattacherait à la seule biographie du sujet et ses aléas.

Je peux bien dire que mon Neptune se situe sur mon Milieu-du-Ciel natal, mais un tel raccourci de langage est loin d’être innocent, parce qu’il subvertit la réalité. Je sais aujourd’hui à quel point la planète n’était pas mienne et à quel point, tout au contraire, j’ai pu être possédé par elle, au sens que j’étais en grande partie agi par des forces neptuniennes qui me dépassaient pour me soumettre, à l’instar d’Ulysse, à des courants improbables. Jung l’exprimait en ces termes dans son Introduction à l’essence de la mythologie.

Les images mythologiques appartiennent à la structure de l’inconscient. Elles sont un bien impersonnel dont les hommes, en majorité, sont bien plus possédés qu’ils ne le possèdent.

Ni les signes ni les planètes ne sont nôtres et nous sommes d’abord l’objet de tendances ou de forces impersonnelles qui nous agissent à des degrés divers. Le processus d’individuation suppose que l’on se relie en conscience aux forces qui nous structurent, car il ne s’agit pas de vivre sur le plan du mythe et de l’identification aux divinités planétaires, avec les risques d’emprise psychique dont on peut constater les ravages au plan individuel et les dérives effroyables au plan collectif. Il s’agit d’incarner le mythe dans son propre temps et dans ses propres limites, ce qui implique que l’on s’engage dans un travail de différenciation en se confrontant aux forces de l’inconscient ou, pour le dire autrement et selon une formule que j’utilise parfois, en s’expliquant avec les dieux. Il ne s’agit pas de vivre comme si l’on était Déméter ou Artémis, Poséidon ou Prométhée, en cédant à l’emprise des archétypes et à la séduction de l’inflation psychique, mais de s’inscrire dans son propre mythe et d’en écrire la biographie humaine, avec tout ce que cela suppose en termes d’unicité et de singularité.

Jung commençait son autobiographie en écrivant que sa vie est « l’histoire d’un inconscient qui a accompli sa réalisation. » Loin de désigner son inconscient, comme si celui-ci recouvrait des forces personnelles dont on peut disposer à sa guise et comme si l’individuation se réalisait à partir du moi, il parlait d’un inconscient qui s’est réalisé à travers sa propre existence. Du point de vue de l’astrologie, il aurait pu dire et sans doute y aurait-il souscrit : « Ma vie est l’histoire d’un thème de naissance qui a accompli sa réalisation. »